Nous exprimons notre profonde gratitude aux bénévoles qui nous ont aidés à traduire le texte de ce rapport en français. Nous remercions également l’association Mémorial France pour la révision et l’édition de cette traduction.
Pour la société civile russe, l’année 2024, comme les deux précédentes, a été marquée par l’acharnement de la Fédération de Russie dans la guerre contre l’Ukraine. Tout au long de l’année, la Russie a subi des persécutions politiques. Les tendances des dernières années, à savoir le caractère ciblé des persécutions, la défavorisation des groupes vulnérables et l’adoption de lois répressives, sont restées inchangées. Par ailleurs, l’un des terribles leitmotivs de 2024 a été la mort de plusieurs prisonniers politiques: Alexeï Navalny a été tué, quatre autres personnes sont mortes en détention, deux autres décédées suite au placement dans une cellule disciplinaire, une autre personne n’a pas survécu aux conséquences de sa détention.
Parmi les événements clefs des persécutions politiques en 2024 figure l' «affaire Baymak» au Bashkortostan qui a touché des dizaines de personnes ainsi que l’échange de prisonniers entre la Russie et l’Occident dans le cadre duquel 16 personnes ont été libérées, dont la plupart avaient été condamnées dans des affaires à motivation politique.
Le rapport utilise des données et des analyses provenant d’OVD-Info, du centre de recherche Sova, du groupe de soutien à la communauté LGBTQ+ Coming Out, du media en ligne Groza et des projets de défense des droits humains Premier Département et de l'’équipe contre la torture.
Nous recueillons les données sur les persécutions politiquement motivées à partir de plusieurs sources telles que les sites web des tribunaux et des agences russes, les médias, ainsi que directement de la part des personnes persécutées et de leurs proches. L’accès à l’information, en particulier aux décisions de justice, est limité, le suivi en temps réel de certains procès est impossible. D’où l’incomplétude de nos données. Pourtant, nous considérons important et utile de publier les données dont nous disposons et de contribuer à une description plus objective des persécutions politiques en Russie.
Le rapport contient également les données sur les persécutions en Crimée annexée (y compris Sébastopol qui est une entité administrative séparée). Les répressions y sont accomplies par les forces de sécurité russes, nous avons donc la possibilité de vérifier les informations. En 2024, nous avons également commencé à recueillir les données sur les répressions politiques dans les régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia. Cependant, en raison de la difficulté d’obtenir et de vérifier ces informations, elles ne sont pas prises en compte dans ce rapport.
Si vous avez une question concernant les données ou voulez lancer un projet commun, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse [email protected].
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Poursuites pénales à motivation politique
Les poursuites pénales constituent actuellement la forme la plus dynamique de pression politique en Russie et en Crimée annexée. Au 9 décembre 2024, en Russie, en Crimée annexée et à Sébastopol, 2976 personnes sont persécutées pour des raisons politiques, 1407 personnes sont emprisonnées dont 390 (28%) ont été placées en détention provisoire avant l’examen de leurs affaires, le prononcé de la sentence et son entrée en vigueur. Les 1017 (72%) restants purgent leur peine.
Persécutions politiques, emprisonnements et libérations
personnes ont été touchées en 2024 par des procédures pénales à motivations politiques
Données au 9 décembre 2024
Le nombre total d’incarcérations en 2024 est en hausse de 25% par rapport à 2023. Sur la même période, celui des personnes en détention provisoire a augmenté de 185%, tandis que le nombre de prisonniers purgeant une peine de prison ferme a diminué de 36%. Cela indique, d’un côté, que les personnes condamnées en 2021-2022 sont progressivement libérées (selon nos informations, 64 accusés dans des «affaires anti-guerre» ont purgé leur peine ou leurs poursuites ont été abandonnées pour d’autres raisons) et, d’un autre côté, que les détenus ont été envoyés dans des centres de détention provisoire plus souvent qu’en 2023.
La durée moyenne d’emprisonnement dans les affaires à motivation politique a légèrement diminué au cours de l’année écoulée, passant de 6,7 ans en 2023 à 6,5 ans en 2024. En revanche, dans les «affaires anti-guerre», cette durée a légèrement augmenté, passant de 6 ans à 6,2 ans.
Le nombre de peines privatives de liberté a également légèrement augmenté. Plus de la moitié des peines prononcées l’année dernière sont des peines d’emprisonnement, soit 55% (378 sur 679). À titre de comparaison, en 2023, ce chiffre s’élevait à 50% (339 sur 671).
Nombre de poursuites engagées par chef d’accusation en 2023-2024
En 2024, la plupart des poursuites ont été engagées au titre de l’article 205.2 du Code pénal russe («Appels publics à la réalisation d’activités terroristes, apologie publique du terrorisme ou propagande terroriste») qui sert souvent de prétexte pour engager des procédures contre les personnes qui appellent au renversement du gouvernement, approuvent les actions de l’armée ukrainienne ou des formations combattant à ses côtés (voir la section sur les persecutions anti-guerre pour plus de détails). Selon nos données, le nombre de nouvelles poursuites en 2024 est légèrement inférieur à celui de 2023. Cela s’explique notamment par le fait que nous n’avons pas connaissance de toutes les affaires pénales en temps utile. Les deuxième et troisième places de ce «classement» sont l’article 212 («Émeutes de masse») et l’articel318 du Code pénal («Violence contre un représentant des autorités»). L’augmentation des poursuites pour ces motifs est liée à l’affaire dite «Baymak» marquée par despoursuites pénales de masse suite à des manifestations au Bashkortostan en janvier 2024.
L’année 2024 a été également marquée par une brusque augmentation des poursuites à l’encontre des «agents de l’étranger» en vertu de l’article 330.1 du Code pénal («manquements aux obligations des d’agents de l'étranger»).
Nombre de condamnations en 2023-2024 pour les chefs d’accusation les plus fréquents
En tête du classement arrive l’article 282.2 du Code pénal («Participation aux activités d’une organisation extrémiste») utilisé principalement contre Les Témoins de Jéhovah. On constate également une augmentation des condamnations «Incitations à la haine ou à l’hostilité» (article 282), pour «Trahison d’État» (art. 275) et «Réhabilitation du nazisme» (art. 354).
Depuis le début de l’année 2024, nos avocats ont assisté 127 accusés dans des affaires politiques pénales, apporté un soutien juridique lors de 18 perquisitions et 41 interrogatoires.
Persécutions des opposants à la guerre
accusés dans des affaires pénales « anti-guerre »
Du 24 février 2022 au 9 décembre 2024
Au 9 décembre 2024, nous avons connaissance de 189 personnes qui ont été poursuivies en 2024 pour s’être exprimés contre la guerre. Une précision importante concernant la spécificité des données: les informations sur l’existence depersécutions ne sont parfois disponibles que longtemps après le début de l’enquête. Ainsi, en 2024, nous avons appris l’existence de 112 accusés criminels «anti-guerre» dont les poursuites ont commencé au cours de l’une des deux années précédentes, ce qui porte le nombre total des affaires «anti-guerre» à 301.
Nombre de personnes ayant fait l’objet d’une enquête pénale «anti-guerre»
Les raisons des poursuites
Le plus souvent, les prévenus dans les «affaires anti-guerre» ont été poursuivis pour des commentaires et des publications sur Internet. Les déclarations hors ligne et les prises de positions dans les vidéos arrivent en deuxième position. Le nombre de manifestations contre la guerre dans les rues et les lieux publics a sensiblement diminué, mais nous constatons toujours des poursuites pour distribution de dépliants, inscriptions sur les murs et sur divers objets dans les villes, pour actions publiques et destruction de symboles patriotiques. Mais le nombre de personnes poursuivies pour avoir coopéré avec des étrangers a été plus élevé en 2024 qu’au cours des deux années précédentes réunies.
Motifs d’ouverture d’une procédure pénale
Pour la première fois depuis 2022, c’est la «Justification publique du terrorisme» (article 205.2 du code pénal) qui, en 2024, a donné lieu au plus grand nombre de nouvelles poursuites «anti-guerre». L’année dernière, c'était le motif de «Discrédit des forces armées de la Fédération de Russie» (art. 280.3 du code pénal) qui dominait, alors qu’en 2022 arrivait en tête l’article 207.3 («Diffusion d’informations sciemment fausses sur les forces armées de la Fédération de Russie»).
L’article 205.2 du Code pénal est imputé, par exemple, pour des commentaires pacifiques sur les réseaux sociaux concernant les frappes sur le pont de Crimée et les attaques de drones sur Moscou et d’autres régions, ainsi que pour l’approbation des activités de la Légion pour la liberté de la Russie.
Articles anti-guerre le plus souvent imputés en 2024
Persécution pour prise de parole
personnes ont fait l’objet de poursuites pénales à motivation politique pour des prises de parole (propos, commentaires, publications et vidéos) en 2024
Principaux thèmes à la base d’enquêtes pénales
Cas d 'appels au terrorisme, à l’extrémisme ou à des activités contre l’Etat
affaires pénales à motivation politique pour appels à l’extrémisme, pour terrorisme ou activités contre l'Étatont été initiées en 2024
Parmi les accusés:
Anastasia Berezhinskaya, de Moscou pour un commentaire «approouvant l’assassinat de Poutine;»
Daniel S., qui a publié dans «Vkontakte» une photo avec la légende «Longue vie aux voleurs, mort aux flics;»
le vice-président du congrès du peuple d’oirat-Kalmouk, Vladimir Dovdanov, qui a appelé les forces armées ukrainiennes à détruire le matériel militaire russe.
Nombre d’affaires pour appels au terrorisme, extrémisme ou activités contre l’Etat
L’un des accusés d’apologie du terrorisme (partie 1 de l’article 205.2 du code pénal) les plus connus est Alexei Gorinov, un ancien député municipal de Moscou qui, au moment de l’affaire, était déjà emprisonné pour avoir diffusé des «fausses informations» sur les forces armées. Gorinov a été condamné cette année à trois ans de colonie pénitentiaire pour avoir justifié le terrorisme auprès d’autres prisonniers. Selon l’enquête, il aurait tenu les propos suivants au sujet de l’explosion du pont de Crimée: « Eh bien, ils l’ont fait sauter. La guerre continue. Parce que la Crimée est leur territoire „. Selon le journaliste Dmitry Muratov, d’autres prisonniers ont été spécialement placés auprès de Gorinov pouressayer de le faire parler et d’enregistrer ses propos à l’aide d’un microphone caché.
Par ailleurs, en juillet 2024, le tribunal militaire du 2e district occidental de Moscou a condamné la metteuse en scène de la pièce «Finist Yasny Sokol», Yevgeniya Berkovich, et sa scénariste, Svetlana Petriichuk, à six ans de colonie de régime général pour apologie du terrorisme (partie 2 de l’article 205.2 du code pénal). La procédure contre les artistes de théâtre a été engagée en raison du spectacle «Finist Yasny Sokol», dirigé par Berkovich sur la pièce de Petriichuk. L’expertise «destructologique» menée par le «destructologue» Roman Silantiev a indiqué que la pièce «glorifie» les militants du mouvement DAESH et promeut « l’idéologie du féminisme radical „.
«Réhabilitation du nazisme» et profanation des symboles de la gloire militaire
En 2024, au moins 55 personnes ont été inquiétés dans des enquêtes à motivations politiques pour «Réhabilitation du nazisme» (article 354.1 du Code pénal). Selon les analystes du centre de recherche Sova, de nombreuses affaires relevant de l’article 354.1 du Code pénal sont intentées illégalement et devraient être requalifiées sur la base d’autres articles du Code pénal ou résolues dans le cadre d’une procédure civile plutôt que pénale.
Motifs d’ouverture d’enquêtes pénales pour «Réhabilitation du nazisme» en 2024 en vertu de l’article 354.1 du Code pénal
Des poursuites pénales similaires ont également été initiées, entre autres, pour avoir fait frire des saucisses sur la Flamme éternelle, avoir brûlé des fils électriques sur la Flamme éternelle, et même à cause d’un commentaire sur l’ouverture d’une plaque commémorative aux «héros de la Guerre contre Ukraine (SVO)». Une enquête a également été ouverte contre le blogueur Marcel Akhiyaretdinov en vertu de l’article 354.1 du Code pénal pour avoir fait appel à Poutine en lui demandant d’habiller plus modestement le monument à la Patrie.
condamnations au pénal pour insulte aux sentiments des croyants ont été prononcées en 2024
Entre autres, les persécutions pour ce motif ont visé:
- L’artiste qui travaille sous le pseudonyme de BFMTH, à cause du graffiti «Anciennes traditions» placé sur un quai de Perm. Il représentait le Patriarche Cyrille revêtu d’une cuculle dont les extrémités se replient en format la silhouette d’un homme levant sa main et s’apprêtant à frapper et celle d’une femme esquivant un coup de poing. Une grande Croix pectorale pendait entre les personnages;
- La blogueuse Olesya Karguina à cause d’une séance photo nue sur la tombe de son bien-aimé;
- Igor Maksimov, prêtre de la paroisse gréco-catholique d’Omsk, qui a accroché dans l'église «une icône représentant des collaborateurs nazis ukrainiens — les bandéristes — sur fond de Vierge Marie».
Cas de propagande de symboles interdits
affaires en vertu de l’article 20.3 («Propagande et démonstration publique des symboles nazis et des symboles des organisations interdites») du code Administratif en 2024, ont été saisis par les tribunaux
Selon le département judiciaire des forces armées de la Fédération de Russie, cité par le centre de recherche Sova, le nombre total de sanctions en vertu de l’article 20.3 du code Administratif («Propagande ou démonstration publique d’attributs ou de symboles nazis, ou attributs ou symboles d’organisations extrémistes») et 20.3.1 du code Administratif («Incitation à la haine ou l’inimitié») attribués dans le premier semestre 2024, s'élevait à 3 001 (en 2023, les sanctions ont été imposées au total 5 163 fois, en 2022 — 5 270 fois).
D’après les analystes de Sova «En 2024, nous avons noté une augmentation des poursuites pour incitation à la haine contre les russes, alors qu’il ne s’agit pas en fait d’hostilité ethnique, mais de déclarations critiquant les opinions politiques ou la position civile de compatriote — par exemple, leur passivité politique. D’habitude, elles se basent sur l’article 20.3.1 code Administratif, par exemple, comme dans le cas d'Igor Vishnyakov, mais parfois des dossiers sont ouverts sur la base de l’article 282 du Code pénal, comme dans le cas de l’actrice Yana Troyanova».
Les affaires visées à l’article 20.3 du Code des infractions administratives sont ouvertes en raison de symboles nazis ou d’autres symboles similaires pouvant prêter à confusion, en raison de symboles d’organisations reconnues comme extrémistes, ainsi que d’autres symboles interdits. Par exemple, les symboles des organisations collaborationnistes. Des poursuites sur la base de cet article de loi sont également engagées pour la publication de photographies de croix gammées ou de saluts nazis. La plupart du temps, les incriminés peuvent en effet afficher de tels symboles comme élément de propagande pour des idéologies haineuses.
Cependant, la liste des attributs ou symboles interdits s’allonge constamment et comprend, entre autres, des symboles associés à des mouvements persécutés pour leur opposition aux autorités ou simplement reconnus sans fondement comme des organisations extrémistes. Selon les analystes de Sova, il ne vaut la peine de tenir quelqu’un responsable d’affichage de symboles interdits que lorsqu’il s’agit de promouvoir l’idéologie correspondante. Or, dans la plupart des cas de poursuites engagées pour ces motifs, il n’est pas question de propagande.
Depuis 2021, après que la Fondation anti-corruption (FBK) a été reconnue organisation extrémiste, même les références au FBK et à son fondateur Alexeï Navalny sont considérées comme des symboles interdits. Par exemple, des condamnations à 7 jours de détention on été prononcées pour utilisation de «logo FBK», pour des portraits de Navalny apportés à la Pierre des Solovki (à Moscou), une photo du logo avec les lettres «FBK» publiée sur VKontakte en 2018 ou encore une photo de Navalny avec la légende «immortel».
Poursuites pour démonstration de symboles interdits
Le graphique ci-dessus montre qu’un grand nombre de cas relevant de l’article 20.3 du Code des infractions administratives sont des cas impliquant les symboles du mouvement «Unité pénale des prisonniers» (AUE). En août 2020, la Cour suprême de Russie a reconnu le «mouvement AUE» comme «extrémiste». Le Centre Sova note que l’AUE ne représente pas de mouvement unifié et n’a pas d’idéologie politique. Les tatouages de prison avec des étoiles à huit branches sont considérés comme des symboles de ce mouvement. On peut également être poursuivi pour des images dans lesquelles ils sont représentés. De même pour les inscriptions «A.U.E.» — «Unité criminelle du prisonnier» sur une page du réseau social VKontakte (pour lesquelles ont été prononcées des peines de 15 jours d’arrestation) et sur les désodorisants de voiture.
Depuis le début de l’invasion de grande ampleur, les autorités russes considèrent comme extrémistes divers symboles associés à l’Ukraine, en particulier les symboles du régiment Azov, le slogan «Gloire à l’Ukraine» et les images de trident. Le Moscovite Dmitry Tushin a été condamné à une amende après que son voisin s’est plaint à la police. Sur son vélo étaient attachés un ruban bleu avec un Z barré et un ruban jaune avec un trident semblable aux armoiries de l’Ukraine. En Crimée annexée, le médecin-chef adjoint de l’hôpital de Simferopol, Andreï Perelyguine, a été arrêté pour 15 jours pour affichage public de symboles interdits et a été condamné à une amende. Le motif officiel de la poursuite était une sonnerie sur son téléphone reproduisant la chanson du folklore ukrainien Chervona Kalina.
Dans le graphique ci-dessus, la catégorie «Autre» comprend les poursuites pour des images de symboles slaves, tels que le Kolovrat et le carré de Svarog.
Au moins cinq amendes ont été infligées pour des logos de la société Meta. Par exemple, pour le logo Facebook sur le site de l'école maternelle Solnyshko. Nous savons également qu’une amende a été infligée pour une écharpe du Dynamo, achetée il y a plus de 20 ans, et pour le drapeau israélien portant l’inscription «Israël — Terroriste». Au moins trois amendes ont été infligées pour les symboles du mouvement «Je/nous sommes Furgal» — par exemple, pour une photo en T-shirt avec le visage de l’ex-gouverneur du kraï de Khabarovsk. Le mouvement de protestation non organisé, presque spontané, des adeptes de Furgal a été reconnu organisation extrémiste en 2024.
En outre, en 2024, on dénombre pas moins 57 mises en examen pour affichage de symbole associés au «mouvement LGBT international».
Une violation répétée de l’article 20.3 du Code des contraventions administratives («Propagande et exposition publique de symboles nazis et de symboles d’organisations interdites») constitue un motif de poursuites pénale en vertu de l’article 282.4 du Code pénal. Cet article est apparu dans le Code pénal en juillet 2022; depuis lors, selon Sova, 67 personnes ont été condamnées sur la foi de cet article. En 2024, 44 personnes ont été condamnées, en 2023 — 23.
personnes ont été mises en examen en 2024 au titre de l’article 282.4 du Code pénal («Manifestation répétée de symboles interdits»)
Les 44 personnes ont été condamnées pour des déclarations et l’utilisation de symboles (en ligne et hors ligne). Par exemple, un habitant de l’oblast de Tomsk a été condamné pour ne pas avoir caché son tatouage de croix gammée alors qu’il se trouvait dans un lieu public. Au moins deux personnes ont été poursuivies en vertu de l’article 282.4 du Code pénal pour des déclarations artistiques ou politiques en 2024 — il s’agit de l’artiste Vasily Slonov en raison d’un culbuto avec des tatouages de prison et de Konstantin Ledkov, un résident du district autonome Nenets, en raison de la publication d’une capture d'écran du clip vidéo du chanteur Shaman, que Konstantin a agrémenté de «symboles nazis».
Harcèlement lié aux organisations et aux communautés
Une part importante des poursuites pénales pour motifs politiques sont liées à la participation (même présumée) de personnes ou à l’aide à une association, une communauté ou un groupe de personnes indésirables pour les autorités.
Persécutions liées au FBK et à Alexeï Navalny
personnes en 2024 ont été accusées dans des affaires criminelles à motivation politique liées au FBK ou à Alexeï Navalny.
Selon OVD-Info au 09.12.2024
Deux personnes sont poursuivies pour avoir publié des articles sur le meurtre d’Alexeï Navalny: le défenseur des droits humains de Mordovie Sergeï Maryin et la journaliste Natalia Sevets-Yermolina. Deux accusés dans des affaires pénales sont d’anciens avocats d’Alexeï, Olga Mikhailova et Alexander Fedulov, qui ont quitté la Russie. Au moins quatre accusés sont des journalistes qui ont couvert les procès d’Alexeï: les correspondants de SOTA Vision Antonina Favorskaya et Artem Kriger, un producteur de l’agence d’information Reuters Konstantin Gabov et le vidéaste d’Associated Press et de Deutsche Welle Sergei Karelin. Sept personnes ont été accusées d’avoir financé le FBK, et deux autres — Sevastyan Sultanov, 15 ans, et Evgeny Smirnov, un habitant de Saint-Pétersbourg — sont poursuivis pour des graffitis en soutien à Alexeï.
Organisations ou communautés «extrémistes» et «terroristes»
En 2024, le mouvement public interrégional «Je/Nous sommes Sergei Furgal», le Parti populaire tatar «Renouveau», «l’Association civile d’Omsk» et «le Mouvement séparatiste antirusse», ainsi que 55 «divisions structurelles», ont été reconnus, entre autres, comme organisations extrémistes.
Le «Forum des États libres de l’après-Russie» et 172 organisations qui en constituent prétendument les «divisions structurelles» ont été reconnus comme terroristes. Au moins trois des organisations figurant sur cette liste ont été précédemment reconnues comme des «divisions structurelles» du «mouvement séparatiste antirusse». La plupart de ces organisations sont des initiatives décoloniales et régionalistes. L’organisation prétendument inexistante «Concept de l’A.V.P. (Avant-garde de la volonté du peuple)» a également été reconnue comme organisation terroriste, à laquelle les forces de sécurité associent les accusés dans «l’affaire Tioumen».
personnes ont été impliquées dans des affaires pénales à motivation politique pour participation aux activités d’organisations terroristes ou extrémistes.
Donnee d’OVD-Info au 09.12.2024
L’inscription sur les listes d’organisations «terroristes» ou «extrémistes» permet aux responsables de l’application de la loi de poursuivre plus facilement les personnes associées à ces organisations. Le grand nombre d’initiatives régionales figurant sur les listes indique probablement que l'État se prépare à intensifier son harcèlement des activistes régionaux et décoloniaux. Dans le cas d’organisations extrémistes, ces poursuites peuvent être engagées en vertu de l’article 282.1 («Organisation d’une communauté extrémiste»), 282.2 («Organisation des activités d’une organisation extrémiste») ou 282.3 du Code pénal («Financement des activités d’une organisation extrémiste»), et, dans le cas d’organisations terroristes, en vertu de l’article 205.4 («Organisation d’une communauté terroriste») ou 205.5 du Code pénal («Organisation des activités d’une organisation terroriste ou participation à ses activités»). Dans le cas des articles 282.1 et 205.4 du Code pénal, il existe également un risque que les forces de l’ordre considèrent toute association de personnes comme une communauté extrémiste ou terroriste, et que les activités de cette association soient post factum qualifiées d’extrémistes ou de terroristes. En 2024, des affaires d’activité communautaire extrémiste ont été ouvertes en rapport avec la page publique Antifa United sur VKontakte et le projet «Anti-Torture», qui met en lumière des cas de torture dans les institutions du Service pénitentiaire fédéral et publie des données personnelles de prisonniers qui, selon lui, ont coopéré avec l’administration et ont fait usage de violence contre d’autres condamnés.
Organisations poursuivies pour des liens présumés avec 2024
Comme le montre le graphique, le «Mouvement international LGBT» se classe au quatrième rang des organisations terroristes et extrémistes en termes de nombre d’affaires pénales, bien que la décision d’interdire ce mouvement inexistant n’ait été prise qu’en novembre 2023. Pour en savoir plus sur les pressions exercées sur les personnes LGBTQ+, consultez le chapitre de ce rapport qui y est consacré.
Qui est persécuté
Nombre de personnes impliquées dans des affaires politiques et privées de liberté
Parmi toutes les personnes poursuivies dans des affaires criminelles à motivation politique, 82,5% sont des hommes (2 482), 17% sont des femmes (508) et 0,5% sont de sexe inconnu (15). 90,7% des personnes actuellement privées de liberté sont des hommes (1 288), 8,8% des femmes (125) et 0,5% sont de sexe inconnu (6). Parmi les personnes qui ont commencé à êtrepoursuivies en 2024, 21% sont des femmes (130), 77% sont des hommes (482) et 2% sont de sexe inconnu (8).
Nous connaissions rarement l'âge des personnes incriminées. Cependant, sur la base des données disponibles, nous pouvons affirmer qu’en 2024, les personnes âgées de 31 à 50 ans étaient les plus susceptibles d'être ciblées, une tendance qui s’est poursuivie depuis 2023.
En 2024, des poursuites pénales pour motifs politiques ont été engagées contre au moins 4 mineurs, dont la plus jeune avait 14 ans à l’époque. La personne persécutée la plus âgée contre laquelle une procédure a été engagée en 2024 a 85 ans; il s’agit du militant des droits humains de Sakhaline, Mark Kuperman. Au total, au 9 décembre 2024, les poursuites contre 23 personnes qui étaient mineures au moment du début des poursuites sont en cours. 10 d’entre eux sont privés de liberté.
Parmi les prévenus âgés de 60 ans et plus, au moins 54 personnes ont été poursuivies en 2024, dont 18 ont été privées de liberté (en détention ou condamnées à une peine d’emprisonnement). Le nombre total de personnes de plus de 60 ans privées de liberté au 9 décembre 2024 est de 130.
Types d’activités des accusés dans les affaires pénales initiées en 2024
En comparaison, en 2023, seuls 28 journalistes ont été poursuivis, mais le nombre d’artistes visés était le même qu’en 2024 — 26.
Accusés dans des affaires criminelles «anti-guerre»
Sexe des accusés dans les affaires pénales «anti-guerre»
L'âge moyen des accusés dans les affaires pénales «anti-guerre» est de 40 ans.
Âge des accusés dans les affaires «anti-guerre»
Activités des personnes impliquées dans les affaires «anti-guerre»
Où sont les accusés dans les procès «anti-guerre»
Persécution des journalistes
journalistes et blogueurs sont actuellement en détention.
Données d’OVD-Info au 09.12.2024
Selon les données d’OVD-Info, depuis 2012, 282 journalistes et blogueurs ont été impliqués dans des affaires pénales à caractère politique, dont 207 sont actuellement poursuivis.
Nombre de journalistes et/ou blogueurs impliqués dans des affaires pénales
La censure et la restriction de la liberté d’expression dans les médias, ainsi que les pressions exercées sur les journalistes ne sont pas une nouveauté pour les autorités russes. Depuis le début de l’invasion à grande échelle, cette tendance s’est encore intensifiée. Selon les sources ouvertes et les informations directes reçues par OVD-Info, au moins 1 798 cas de pressions sur les médias, les journalistes et les blogueurs ont été recensés.
Types de pressions sur les journalistes en 2024
En 2024, on observe une augmentation notable du nombre de dossiers administratifs à l’encontre des journalistes, qui se transforment souvent en affaires pénales. Cela est principalement lié aux affaires relevant de l’article sur le non-respect des obligations d' «agent étranger» (article 330.1 du Code pénal). Parmi les 76 cas de poursuites pénales contre des journalistes en 2024, 15 sont précisément basées sur cet article, ce qui constitue le chiffre le plus élevé.
En outre, par rapport à l’année dernière, le nombre d’affaires pénales ouvertes pour ces motifs contre des journalistes a été multiplié par 15: en 2023, seulement quatre affaires avaient été ouvertes sur cette base, dont une seule contre une journaliste — Alsou Kourmachieva.
Au cours des années précédentes (de 2016 à 2022), aucune affaire similaire en vertu de l’article 330.1 du Code pénal n’avait été enregistrée. Ce n’est qu’après le durcissement de la législation sur les agents étrangers à la fin de 2022 et la simplification de l’imposition d’amendes en vertu de l’article 19.34 du Code des infractions administratives («Violation des règles d’activité des agents étrangers») que l’on a constaté une augmentation du nombre de telles affaires. Il est important de noter que, pour engager une procédure pénale au titre du paragraphe 2 de l’article 330.1 du Code pénal (pour manquement aux obligations en tant qu' «agent étranger»), il suffit à un «agent étranger» de recevoir une ou deux amendes pour absence de marquage dans les publications (article 19.34 du Code des infractions administratives) et d'être accusé une troisième fois pour ce motif.
Un journaliste est mis en examen au titre de l’article 330.1 du Code pénal («Non-respect des obligations d'"agent étranger'») en 2023
Journalistes ou blogueurs sont mis en examen au titre de l’article 330.1 du Code pénal («Non-respect des obligations d'» agent étranger») en 2024
Selon les données de «Roskomsvoboda», à ce jour, le «Roskomnadzor» a bloqué plus de 120 000 pages et sites sur Internet. Les autorités russes bloquent non seulement le contenu publié en Russie et les médias russophones, mais également les médias étrangers écrivant sur l’invasion à grande échelle de l’Ukraine et sur Poutine:
- Le tribunal du district de Volsk (région de Saratov) a bloqué un lien vers un article du site d’information français L’Internaute.
- Le tribunal du district central de la ville de Tchita (territoire de Transbaïkalie) a interdit trois liens du site italien Dagospia, l’un des 50 sites d’information les plus populaires en Italie.
- Par une décision du tribunal du district Kirov de la ville d’Omsk, un article du site espagnol Marca a été bloqué pour avoir démystifié une fausse information sur Vladimir Poutine.
Où ont lieu les persécutions
Régions où des affaires pénales à motivation politique ont été ouvertes en 2024
C’est au Bachkortostan qu’a été initié le plus grand nombre d’affaires pénales en 2024, en raison de l' «affaire Baymak» visant les participants au rassemblement populaire du 17 janvier, jour du verdict contre l’activiste Faïl Alsynov. En plus de cette région, ainsi que celles de Moscou et de Saint-Pétersbourg, un nombre significatif de persécutions en 2024 a touché la région de Sverdlovsk, le Tatarstan et les territoires annexés de la Crimée.
Pressions sur les personnes politiquement persécutées
En 2024, au moins 107 cas de pressions supplémentaires ont été signalés. Cela inclut des violences physiques ou psychologiques, des refus de soins médicaux ou des conditions de détention délibérément mauvaises à l’encontre des personnes impliquées dans des affaires pénales à motivation politique. Parmi ces cas, 36 concernent des violences physiques et des tortures.
- Un habitant de Koursk, Sergueï Tchouïkov, âgé de 60 ans, a vu son domicile envahi par un groupe d’agents des forces de l’ordre, comprenant des policiers et des membres du FSB. Pendant la perquisition, il a été battu pour qu’il donne le mot de passe de son téléphone. Par la suite, les agents lui ont bandé les yeux et l’ont emmené dans un bâtiment inconnu. Selon ses dires, il y a été torturé: frappé et soumis à des chocs électriques via des menottes. Une procédure a été ouverte contre Tchouïkov pour «discrédit des Forces armées russes» (article 280.3 du Code pénal) et pour «justification publique du terrorisme» (article 205.2 du Code pénal).
- Rinat Kiramov, condamné à sept ans de prison pour «organisation des activités d’une organisation extrémiste» (paragraphe 1 de l’article 282.2 du Code pénal), a été soumis à des pressions dans un centre médico-correctionnel. Les autorités lui ont demandé de révéler les noms de ses coreligionnaires, Témoins de Jéhovah, vivant à Akhtoubinsk. Après son refus, il a été battu pendant plusieurs jours et torturé à l’eau et avec un taser.
En 2024, au moins 7 grèves de la faim ont été menées par des personnes persécutées pour des motifs politiques.
La journaliste de Barnaoul Maria Ponomarenko, condamnée à six ans de prison pour «diffusion de fausses informations» sur l’armée (article 207.3 du Code pénal) et accusée de violences contre des employés du centre de détention, a entamé deux grèves de la faim. Elle continue d’être maltraitée en détention.
cas de pressions sont liés aux conditions de détention dans les colonies pénitentiaires et les centres de détention provisoire
- Alexeï Grigoriev, habitant de la région d’Orenbourg, accusé d’avoir tenté de brûler un bureau de recrutement militaire et une armoire de relais ferroviaire, rapporte avoir été intentionnellement détenu dans un sous-sol humide, froid et nauséabond, infesté de rats, avec des murs couverts de moisissures.
- Server Zekiryaïev, un Tatar de Crimée condamné à 13 ans de colonie pénitentiaire à régime strict pour appartenance présumée au parti islamiste «Hizb ut-Tahrir», a été maintenu pendant plusieurs mois dans une cellule où il inhalait en permanence des émanations gazeuses provenant du système d’égout collectif. Selon son épouse, il n’a pas pu dormir pendant quatre jours d’affilée, suffoquant à cause de l’odeur et du manque d’oxygène.
- Selon son avocate, Vadim Khartchenko, blogueur de Guelendjik accusé entre autres de «discrédit de l’armée», est détenu dans une cellule individuelle insalubre, dans un sous-sol humide sans fenêtres. La poussière et la saleté pénètrent par les barreaux, tandis que dans les cellules voisines, des cris et des disputes résonnent la nuit. De plus, une voix monotone récite constamment et à haute voix les règles et le règlement du centre de détention provisoire.
Nous avons connaissance d’au moins 28 cas où une assistance médicale a été refusée ou de mauvaise qualité.
- L’accès à un cardiologue a été refusé à Alexandre Chestoun, ancien chef du district de Serpoukhov dans la région de Moscou, poursuivi dans plusieurs affaires pénales, et le personnel médical du centre de détention a cessé de lui fournir ses médicaments pour le diabète et les maladies cardiovasculaires.
- On a refusé de fournir des inhalateurs àTimour Yalkabov, habitant de Crimée souffrant d’asthme chronique et condamné à 17 ans de colonie à régime strict pour appartenance présumée au parti islamiste «Hizb ut-Tahrir» jusqu’à ce qu’il ne commence à avoir des crises.
- Artem Samsonov, ancien député de l’Assemblée législative du Primorié pour le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), condamné pour des accusations d’abus sur mineur, ne peut bénéficier d’une aide médicale complète, bien qu’une tumeur ait été découverte dans sa poitrine il y a un an. En juillet 2024, il a été révélé que dès l’été 2023, les médecins de l’unité médicale du SIZO-1 avaient détecté une masse dans sa poitrine, sans prendre de mesures.
- Anna Alexandrovna, résidente de Saint-Pétersbourg accusée de diffusion de «fausses informations» sur l’armée russe en raison de publications sur VKontakte, a brandi une pancarte avec l’inscription «J’ai besoin d’un médecin» lors d’une audience. Elle a demandé une consultation médicale en raison de son diagnostic de maladie chronique.
personnes persécutées pour des motifs politiques sont décédées en 2024 en détention ou des suites de celle-ci
- Alexeï Navalny. Selon la version officielle du Service Fédéral d’Application des Peines (FSIN) et du Comité d’Enquête, l’homme politique est décédé après avoir eu un malaise après une promenade à la colonie pénitentiaire 3 du village de Harp dans la région autonome Yamalo-Nenets. Plus tard, les journalistes avec les compagnons d’armes de Navalny ont trouvé des preuves indiquant que le politique était empoisonné au sein de la colonie pénitentiaire.
- Alexandr Demidenko, volontaire de Belgorod qui aidait des réfugiés urkainiens. Les représentants de FSIN ont déclaré que l’homme accusé de trafic illicite d’engins explosifs s’est coupé les veines au centre de détention. Le fils de Demidenko doute de la version du FSIN.
- Alexandr Ishchenko, prisonnier de guerre qui était conducteur au régiment ukrainien «Azov». Le militaire est mort au centre de détention à Rostov à cause du traumatisme fermé à la suite d’un «contact avec un objet émoussé» selon l’avis du médecin légiste ukrainien. L’attestation mentionne plusieurs fractures des côtes, mais il n’y a aucune information sur comment et quand Ishchenko a été blessé.
- Igor Pokusine, activiste d’Abakan, a été accusé de vandalisme et de préparation de haute trahison après avoir recouvert de peinture une inscription sur une bannière supportant l’armée Russe. Le retraité est mort six mois après une seconde condamnation. Ses avocats disent que l’activiste a déposé sous la torture. D’après les données de «Mémorial», Pokusine avait des problèmes de santé: il avait des prothèses au lieu de deux articulations et une endoprothèse vasculaire au cœur.
- L’activiste et pianiste Pavel Kouchnir, avait une chaîne anti-guerre appelée «Agent Madler» sur YouTube comptant quelques abonnés. Kouchnir est mort après une grève de la faim au centre de détention de Birobidjan. Il était accusé de l’appel public au terrorisme. La mère de l’activiste a refusé une expertise indépendante: d’après les amis de Kouchnir, ses relations avec la famille se sont détériorées après l’année 2014.
- Kirill Bouzmakov, motard originaire d’Ukraine, a participé à un chat privé où on discutait de la guerre en Ukraine. Il a été torturé: les policiers lui ont cassé la mâchoire et refusé de l’emmener à l’hôpital à moins qu’il n’avoue la préparation d’un l’attentat terroriste. Selon Bouzmakov lui-même, on l’a «laissé moisir». Plus tard, le motard a été libéré sous assignation à résidence, sa mâchoire a été enlevée lors d’une opération à l’hôpital. Bouzmakov est mort chez lui à Zheleznovodsk.
- Alexandr Loubine, habitant de l’oblast (région) de Kourgan, a été accusé d’appartenir à la communauté des Témoins de Jéhovah. Sa santé s’est dégradée en détention. Après avoir été condamné pour gestion d’une organisation extrémiste, il a été placé en réanimation vu son inaptitude de respirer de lui-même. Loubine avait une incapacité de groupe 2, de l’hypertension et une polyartrite.
- Vladimir Kazantsev, juriste et défenseur des droits humains. À l’automne 2022 il a été condamné à 4 ans de prison pour fraude. Selon l’avis des éco-activistes locaux, l’affaire pénale contre Kazantsev a été ouverte afin de l’empêcher à réclamer le droit de citoyens à l’environnement sain. La cause du décès est inconnue.
Tortures, abus et violation du droit à la vie
L’objet de ce rapport sont les persécutions politiques, mais l’emploi de la force par les autorités russes et la violation des droits n’est pas exclusive aux affaires politiques. Cette partie présente l’analyse de l’ONG Équipe Contre la Torture qui recueille des données sur toutes les victimes des violences policières. Toute pression est pour un détenu un moyen d’intimidation supplémentaire et de contrainte sur quelqu’un qui est déjà entre les mains du système.
cas montrant des indices de torture, abus ou violation du droit à la vie de la part des representants de l'État ont été recenser pas l’Équipe Contre la Torture.
Données de l’Équipe Contre la Torture du 12.09.2024
Les employés de l’Équipe spécifient qu’ils n’ont pas l’opportunité de vérifier tous les rapports contenant les indices de violation. La systématisation des matériaux et l’analyse qui suit prend plusieurs mois jusqu'à deux ans. Donc, dans une année calendaire, seulement les événements des années passées peuvent être prouvés, pendant qu’approximativement 40 rapports sont sujet à la vérification sur 300 cas connus.
Pression extrajudiciaire
Au 9 décembre 2024, au moins 70 cas de pression extrajudiciaire en raison de positions anti-guerre sont connus. On entend par pression extrajudiciaire ou extralégale un ensemble de pratiques ayant pour but une entrave de l’activité politique ou sociale d’une personne sans engagement de poursuites administratives ou pénales. Ces pratiques peuvent être divisées en criminelles et institutionnelles. Les pratiques criminelles sont des moyens illégaux de l’entrave de l’activité des militants: menaces, destruction des biens, attaques, meurtres. Les pratiques institutionnelles consistent à l’utilisation des pouvoirs des fonctionnaires ou des forces de l’ordre: par exemple, les menaces d’enlever les enfants de la part des autorités de tutelle, la déportation des étrangers indésirables à l’aide du Service Fédéral Migratoire ou Service Fédéral de Sécurité, pression sur des entreprises, licenciements, etc.
Persécutions extrajudiciaires en 2024
Les menaces sont la forme la plus répandue des persécutions extrajudiciaires en 2024. Dans la majorité des cas, elles débouchent sur des excuses par contrainte: des excuses forcées pour avoir invité une interprète ukrainienne dans un bar, pour avoir publié les stories anti-guerre sur Instagram ou pour une plainte contre un véhicule militaire garé dans la cour.
Un autre type de pressions extrajudiciaires répandu est l’annulation d'événements. Les artistes se heurtent souvent à ce type de pression: par exemple, les musiciens Kristina Orbakaïte, Gleb Samoïlov, la critique littéraire Galina Iouzefovitch, l'écrivaine Lioudmila Oulitskaïa etc.
Affaires administratives à motivation politique
Affaires de discrédit des forces armées de la Fédération de Russie
affaires administratives pour discrédit de l’armée au titre de l’article 20.3.3 du Code Administratif ont été déposées devant les tribunaux en 2024.
Données de «Mediazona» du 12.05.2024
Sur les 2 047 affaires ouvertes au titre de l’article 20.3.3 du Code Administratif, 1 942 ont été entendues par les tribunaux russes.
Resultats des affaires de discrédit de l’armée russe
Au total, les tribunaux russes ont été saisis de 31% d’affaires de discrédit en moins cette année par rapport à l’année dernière. Toutefois, il faut souligner qu’au moment de la rédaction de ce rapport, le mois de décembre n’est pas encore terminé, et que la différence globale sera finalement plus faible. En moyenne, pour chaque mois de 2024, 27% d’affaires en moins ont été portées devant les tribunaux par rapport à 2023 (hors décembre).
Nombre d’affaires administratives engagées au titre de l’article 20.3.3 du Code Administratif (discrédit) par année
5 régions où les tribunaux ont été saisis pour le plus d’affaires de discrédit de l’armée russe en 2024:
- Les territoires annexés de la République de Crimée et la ville de Sébastopol — 468 affaires. L’année précédente, c’est également dans ces territoires qu’il y avait eu le plus grand nombre d’affaires de ce type.
- La ville de Moscou et l’oblast (région) de Moscou — 218 affaires.
- Le kraï (territoire) de Krasnodar — 112 affaires.
- Saint-Pétersbourg — 74 affaires.
- L’oblast (région) de Sverdlovsk — 54 affaires.
Nombre de dossiers administratifs pour discrédit de l’armée russe ouverts en 2024
En 2024, les avocats d’OVD-Info ont défendu 641 personnes dans 699 affaires administratives, dont six ont vu leur peine réduite. Les avocats de la défense se sont déplacés 62 fois dans les commissariats de police et ont aidé 579 personnes. Ils ont également mené 973 consultations par téléphone et 838 par courrier. Une assistance juridique a été fournie dans 52 régions de Russie.
Affaires d’insulte à l'État sur Internet et d’appels au séparatisme ou à des sanctions internationales
Apparus en 2019, les paragraphes 3-5 de l’article 20.1 du Code Administratif sur le hooliganisme mineur permettent de sanctionner les citoyens qui diffusent sur Internet «des informations exprimées sous une forme indécente, qui portent atteinte à la dignité humaine et à la morale publique, qui manquent clairement de respect à l'égard de la société, de l'État, des symboles officiels de la Fédération de Russie, de la Constitution de la Fédération de Russie ou des organes exerçant le pouvoir de l'État dans la Fédération de Russie».
affaires administratives pour insulte à l'État et à la société sur Internet ont été portées devant les tribunaux
Selon les données de OVD-Info du 01/01/24 à 09/12/24
En 2023, les autorités russes ont ouvert 178 dossiers au titre des paragraphes 3 à 5 de l’article 20.1 du Code Administratif, ce qui représente seulement 7 dossiers de plus que le 9 décembre 2024. En 2022, le nombre d’affaires de ce type était plus élevé (234).
Pour quelles causes peut-on être sanctionné selon ces motifs?
- «classe» (like) sur le réseau social «Odnoklassniki» sous un meme avec une photo de Vladimir Poutine portant l’inscription «Vovka pizdabol» (Vladimir fils de pute);
- plusieurs images avec Poutine dans différents personnages: en particulier, l’image du président avec des tatouages et des cheveux roses du rappeur Lil Peep;
- Affiche disant que les personnes en uniforme et les fonctionnaires étaient «plus effrayants que le covid».
Le pianiste Pavel Kuchnir, qui était à l'époque détenu dans une affaire pénale pour appel au terrorisme (partie 2 de l’article 205.2 du Code Pénal) en raison de ses déclarations anti-guerre, a également été condamné à une amende au titre de l’article 20.1 du Code Administratif. Le motif était constitué par deux vidéos postées sur la chaîne YouTube du musicien «Agent Malder» Dans ces vidéos, Kuchnir partageait son opinion sur Poutine. Neuf jours après la sentence du tribunal, le 28 juillet 2024, Pavel est décédé dans un centre de détention après une grève de la faim prolongée.
Prisonniers politiques en temps de guerre
À la suite de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, les poursuites pour trahison d'État, terrorisme et sabotage se sont intensifiées, motivées en partie par les protestations plus radicales des opposants à la guerre et en partie par le désir de l'État de donner l’image d’une lutte intense contre les «ennemis intérieurs». La sévérité disproportionnée des peines, l'échelle «industrielle» des persécutions, le recours fréquent à la torture, les informations sur la fabrication et la provocation dans certains cas, ainsi que l’absence d’informations détaillées sur la plupart des affaires, font qu’il est important de suivre ces histoires. Nous ne savons pas toujours si les accusés ont commis ce dont ils sont accusés ou quelle est leur position, mais nous essayons néanmoins de donner une image la plus complète possible des répressions.
Allégations d’aide à l’armée ukrainienne
123 personnes au moins sont détenues car (données au 10.12.2024):
- accusées d’avoir tenté de partir combattre aux côtés de l’Ukraine — 26;
- accusées de financement de l’armée ukrainienne — 22;
- accusées d’avoir transmis des informations aux forces de sécurité ukrainiennes — 49;
- accusées d’autre assistance à l’armée ukrainienne / la nature spécifique de l’accusation est inconnue — 26.
Au moins 17 d’entre eux sont des résidents des territoires occupés de l’Ukraine (y compris la Crimée et Sébastopol). Par exemple, en octobre, on a appris la détention en Crimée annexée de Lyudmila Kolesnikova, qui vivait en Irlande avec un «statut de protection temporaire» depuis deux ans, et qui est venue en juin à Yalta pour assister aux funérailles de sa mère. Les agents du FSB ont arrêté la femme au cimetière et l’ont rapidement envoyée au centre de détention provisoire. Pendant plusieurs mois, Kolesnikova, comme elle l’a raconté dans une lettre adressée à un bénévole, a été détenue sans inculpation.
Début octobre, une procédure a été ouverte contre pour trahison d'État (article 275 du code pénal de la Fédération de Russie). Elle a été accusée d’avoir «fourni une assistance financière à l’Ukraine d’une valeur de 25 euros». Selon elle, il y a deux ans, elle a acheté «deux timbres-poste NFT „par l’intermédiaire du service gouvernemental ukrainien Diya, et „ces fonds ont servi à acheter des drones en Ukraine“. Les timbres en question sont probablement ceux qui portent l’image du „navire de guerre russe“.
Condamnés pour avoir aidé l’armée ukrainienne
Les peines relativement «douces» sont généralement prononcées pour coopération confidentielle avec un État ou une organisation étrangère (article 275.1 du code pénal de la Fédération de Russie) ou dans les cas où le crime est considéré comme inachevé — c’est pourquoi les personnes accusées d’avoir transféré une quelconque somme d’argent à l’armée ukrainienne sont punies en moyenne plus sévèrement que celles accusées d’avoir tenté de la rejoindre.
Au moins 30 des personnes condamnées sont des résidents des territoires occupés de l’Ukraine. Nombre d’entre elles sont accusées de trahison d'État (article 275 du code pénal de la Fédération de Russie), ce qui se produit lorsque les autorités les considèrent comme des citoyens russes. L’article sur l’espionnage (article 276 du code pénal) est également souvent utilisé contre les résidents des territoires occupés.
Parmi les Ukrainiens condamnés en 2024 figurent des personnes qui ont été emprisonnées avant même l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Serhiy Kuris vivait à Kharkiv et se rendait à Donetsk occupée, où vivait sa famille et où se trouvait sa société de sécurité. En septembre 2019, l’homme est arrêté par des agents du «département de lutte contre la criminalité organisée» de la RPD autoproclamée. Il a été envoyé au centre de déténtion provisoire numéro 5 à Donetsk, soupçonné d’espionnage, de terrorisme et de coopération avec le service de sécurité de l’Ukraine. Kuris a été torturé en détention. Après l’annexion de la «RPD», un tribunal russe a examiné son cas et, en novembre, l’a condamné à 16 ans de prison ferme.
Allégations d’incendies criminels et d’attentats à la bombe ou de préparatifs en vue de tels actes
En 2024, 124 personnes ont été condamnées pour incendie ou préparation d’incendie, dont 18 mineurs. Les personnes qui ont commis des incendies criminels sous l’influence de manipulateurs ne sont prises en compte dans ces statistiques que si elles ont été condamnées en vertu de l’article sur les actes terroristes (article 205 du code pénal de la Fédération de Russie) — il y a au moins quatre condamnés de ce type, qui ont écopé de 8 à 11 ans de prison. Un certain nombre d’incendiaires qui ont tenté de satisfaire les demandes de faux «officiers du FSB» ont été inculpés en vertu d’articles moins graves sur les incendies criminels (partie 2 de l’article 167 du code pénal) ou le hooliganisme (article 213 du code pénal) et condamnés à des peines avec sursis, à des amendes ou à des peines de courte durée dans des colonies pénitentiaires.
On sait que 68 condamnés ont agi contre rémunération et 26 qu’ils ont tenté de protester contre la guerre au moyen d’incendies criminels. Toutefois, ces informations doivent être traitées de manière critique: en fonction de leurs tâches, les services répressifs peuvent attribuer un motif égoïste aux accusés afin de les discréditer ou, au contraire, dire qu’ils ont agi par conviction idéologique afin de justifier l’imputation d’articles sur le terrorisme.
Le plus grand nombre de personnes condamnées pour incendie criminel concerne des destructions d’infrastructures ferroviaires. Elles sont au nombre de de 85. Dans les cas d’incendie de centres de recrutement militaire, 24 personnes ont été condamnées, et 21 personnes ont été condamnées pour l’incendie d’autres installations (une personne pouvant parfois être accusée de l’incendie de plusieurs installations).
L'éventail des peines prononcées dans les affaires d’incendie criminel est énorme: de quatre à vingt-six ans de prison. Dans le numéro de novembre de Prisonniers Politiques de Guerre, nous avons parlé des accusés qui ont été condamnés à de lourdes peines. En règle générale, ces personnes étaient accusées non seulement d’actes terroristes (article 205 du code pénal de la Fédération de Russie) ou de sabotage (article 281 du code pénal), mais aussi de trahison d'État (article 275 du code pénal), de participation à une organisation terroriste (article 205.5 du code pénal), d’entraînement à des activités terroristes (article 205.3 du code pénal) et d’autres chefs d’accusation particulièrement graves.
En 2024, au moins 153 personnes ont été détenues dans des affaires d’incendie criminel. La proportion de mineurs (55) a augmenté de manière significative parmi les personnes appréhendées.
personnes détenues dans des affaires d’incendie criminel en 2024
Selon OVD-Info au 09.12.2024
Le motif anti-guerre des incendiaires n’est connu que dans quelques cas. Au moins 88 accusés auraient agi contre rémunération (dont 46 des 55 adolescents détenus). 9 détenus auraient commis des incendies criminels sous l’influence d’escrocs.
Les infrastructures ferroviaires restent le principal objet d’attaque — 84 détenus sont à l’origine d’incendies criminels sur les voies ferrées. Les centres d’enrôlement militaire sont quant à eux beaucoup moins souvent incendiés (6 détenus seulement). Les «curateurs» ont commencé à assigner des tâches consistant à incendier des installations de communication et des installations militaires beaucoup plus souvent.
Nombre d’accusés d’incendie volontaire ou de préparation d’incendie en 2024
Au moins 38 personnes ont été détenues pour avoir fait exploser ou s'être préparées à faire exploser des infrastructures ou des installations militaires (ces statistiques n’incluent pas les accusations de tentative de meurtre). Vingt-six personnes ont été condamnées dans des affaires de préparation d’attentats à la bombe, dont 12 étaient des résidents des territoires occupés.
Procès des prisonniers de guerre ukrainiens
Des poursuites pénales sont engagées contre des prisonniers ukrainiens non seulement pour des accusations de crimes de guerre (de tels cas peuvent aussi être inventés), mais aussi pour le seul fait de leur service militaire.
La plus grande affaire de ce type a été intentée contre 26 personnes (9 femmes et 17 hommes) accusées d’avoir servi dans le régiment ukrainien «Azov». Ils sont accusés de prise de pouvoir par la violence (article 278 du code pénal de la Fédération de Russie), y compris la prise de pouvoir dans la «RPD», ainsi que d’organisation des activités d’une organisation terroriste ou de participation à celle-ci (parties 1 et 2 de l’article 205.5 du code pénal). Les 11 hommes sont également accusés d’entraînement au terrorisme (article 205.3 du Code pénal). Deux des accusés sont jugés par contumace, car ils ont été renvoyés en Ukraine dans le cadre d'échanges de prisonniers avant le procès. Toutes les femmes ont également été échangées en septembre.
Les poursuites engagées contre un autre accusé, Alexander Ishchenko, ont été abandonnées en raison de son décès. En juillet, il est décédé dans un centre de détention provisoire russe à la suite d’un choc, de multiples fractures des côtes et d’un traumatisme thoracique contondant.
En août, un tribunal russe de Rostov a requis des peines de 16 à 24 ans de prison pour les accusés.
En outre, 18 autres prisonniers — 2 femmes et 16 hommes — sont accusés d’avoir servi dans le bataillon Aidar. Ils sont accusés pour les mêmes motifs que ceux impliqués dans l’affaire Azov. Les médecins Maryna Mishchenko et Liliya Prutyan sont rentrés en Ukraine en septembre dans le cadre d’un échange de prisonniers avec la Russie.
Cas liés à l’offensive de l’Armée ukrainienne dans la région de Koursk
L’invasion de la région de Koursk par l’armée ukrainienne a donné lieu à une nouvelle catégorie de poursuites à l’encontre des journalistes qui ont couvert l’offensive de l’armée ukrainienne.
Les premiers accusés dans ce type d’affaires étaient les journalistes de la chaîne de télévision et de radio italienne RAI Simone Trini et Stefanie Battistini, qui ont fait un reportage dans la ville de Suja, dans la région de Koursk, ainsi qu’un correspondant de la chaîne américaine CNN Nick Payton Walsh et les journalistes des chaînes de télévision Mi Ukrayina et Hromadske Olesya Borovyk et Diana Butsko. Tous ont été inculpés par contumace en vertu de l’article relatif au franchissement illégal de la frontière de l'État russe (partie 3 de l’article 322 du code pénal de la Fédération de Russie). En septembre, ils ont tous été placés sur la liste des personnes recherchées. Au 9 décembre 2024, un total de 12 journalistes de huit pays sont connus pour avoir été inculpés en vertu de cet article. Au moins quatre d’entre eux ont été arrêtés par contumace.
Répression législative
Le premier projet de loi répressif adopté en 2024 était une loi permettant la confiscation de biens en cas de commission d' «infractions» en vertu des articles sur la diffusion de «faux» sur l’armée (article 207.3 du code pénal de la Fédération de Russie) et sur les appels publics à des activités contre la sécurité de l'État (article 280. 4 du code pénal) — dans les deux cas «pour des motifs d’enrichissement personnel» — ainsi que l'élargissement des motifs de privation des récompenses, grades et titres en cas de commission d’infractions — les auteurs de la loi ont motivé cela par la possibilité de priver de biens et de grades les «traîtres» qui mènent «des activités ouvertement anti-russes et soutiennent directement l’ennemi».
Elle a été suivie d’une loi qui a étendu la législation sur les organisations «indésirables» aux organisations étrangères et internationales dont les fondateurs ou les participants sont des organes d'État étrangers, ainsi que d’une loi qui a interdit la publicité sur toutes les ressources des agents étrangers — pour les personnes physiques et morales russes, quelle que soit leur forme de propriété.
D’autres amendements ont été apportés à la loi «sur les amendements à la loi fédérale sur les communications», qui avait déjà été adoptée en première lecture, obligeant les propriétaires de chaînes Telegram ayant une audience de plus de 10 000 abonnés à soumettre des informations les concernant à Roskomnadzor.
La loi interdisant la «propagande en faveur de l’abandon de la procréation» a constitué une autre étape importante dans le renforcement de la censure. Elle a été adoptée à l’automne 2024, après avoir été examinée en 48 jours.
Le 12 décembre 2024, la Douma d'État a adopté en deuxième et troisième lectures une loi élargissant les motifs d’inscription au fichier des «extrémistes et terroristes» tenue par le Service fédéral de surveillance financière. Désormais, les motifs d’inscription sur ce fichier sont élargies à la diffusion publique de «fausses» informations sur l’armée russe et au discrédit des forces armées russes.
Le 17 décembre 2024, la loi sur les comptes spéciaux en roubles pour les «agents étrangers» a été adoptée à la fois en deuxième et troisième lectures. Désormais, la rémunération qu’un «agent étranger» percevra de son activité intellectuelle et de ses marques en Russie devra être créditée sur un compte spécifique en roubles. En deuxième lecture, la loi a été complétée par des dispositions interdisant aux «agents étrangers» de disposer librement de l’argent provenant de leurs activités intellectuelles et de la vente de leurs propres biens.
En 2024, en première lecture (c’est-à-dire que deux autres lectures sont prévues, ainsi que l’approbation du Conseil de la Fédération et la signature du Président) ont été adoptées des lois sur:
— la possibilité pour les bibliothèques de restreindre l’accès aux livres créés par des «agents étrangers» ou des «auteurs» figurant sur le fichier du Service fédéral de surveillance financière;
— l’interdiction de la publicité sur les ressources des organisations «extrémistes» et «indésirables» (par ex. Instagram et Facebook)
— l’interdiction de participer aux activités de la chambre civique de la Fédération de Russie pour les organisations et les personnes inscrites au fichier des «agents étrangers», ainsi que pour les personnes ayant la citoyenneté ou un permis de séjour dans d’autres pays;
— l'élargissement des articles sur la trahison, l’espionnage et la «coopération confidentielle avec un État étranger»,
La deuxième lecture du dernier projet de loi cité est déjà prévue pour le 17 décembre et il y a de fortes chances qu’il soit adopté avant le Nouvel An.
En particulier, il élargit la notion de «passage du côté de l’ennemi». Désormais, il ne s’agit désormais plus seulement d’une participation directe à des actions militaires, mais aussi d’une «participation volontaire aux activités d’organismes gouvernementaux, d’institutions, d’entreprises et d’organisations ennemies, pour „collaboration“, qualification sous laquelle des centaines de Russes ont déjà été traduits en justice. Il est également impossible d’exclure que les organisations humanitaires pro-ukrainiennes qui fournissent une assistance au front soient considérées comme des „ennemis“.), délibérément dirigé contre la sécurité de la Fédération de Russie. „Comme le souligne l’organisation Pervyi Otdel (Premier Département), une fois les amendements adoptés, toute coopération avec des organisations ukrainiennes que le gouvernement russe considère comme „dangereuses“ sera considérée comme un „passage du côté de l’ennemi“. L’expression „participation aux activités“ est frappante. La jurisprudence relative à la poursuite pénale d’organisations „indésirables“ ou de communautés extrémistes a montré que les termes de „participation à des activités“ s’entend très largement: republication de documents, participation à une conférence, etc.
En outre, un nouvel article du code pénal est introduit — l’article 276.1 («assistance à l’ennemi dans des activités sciemment dirigées contre la sécurité de la Fédération russe»).
Pression sur la communauté LGBTQ+
L’année 2024 a été marquée par une répression systémique à l’encontre de la communauté LGBTQ+ en Russie. La désignation par la Cour suprême russe du «Mouvement international LGBT» comme organisation extrémiste, entrée en vigueur le 10 janvier 2024, a conduit à une escalade de mesures pénales, administratives et législatives visant à supprimer les droits et libertés des personnes LGBTQ+.
Selon l’expertise des juristes du groupe «Coming Out», la décision de justice met également en danger le personnel, les dirigeants, les bénévoles et les donateurs des organisations LGBTQ+.
cas de violations des droits des personnes LGBTQ+ au minimum en Russie en 2024. Selon le groupe " Coming Out " au 09 décembre 2024
Au cours de l’année, le groupe " Coming Out " a enregistré 279 cas de violations des droits des personnes LGBTQ+. Il s’agit de 161 cas impliquant des individus et de 104 cas impliquant des personnes morales et des organisations. 14 cas d’initiatives législatives visant à restreindre davantage les droits de la communauté LGBTQ+ ont été enregistrées.
Les descentes de police contre les personnes LGBTQ+ sont devenues une pratique régulière. En 2024, au moins 24 descentes ont eu lieu dans des clubs, des espaces culturels et des événements liés à la communauté LGBTQ+ dans 12 régions de Russie. Ces actions se sont accompagnées de détentions, de violences, d’humiliations et d’amendes administratives. De nombreux lieux ont été contraints de fermer après ces descentes, et les propriétaires et organisateurs des événements ont fait l’objet de procédures pénales au titre d’activités d' organisation extrémiste (article 282.2 du code pénal).
Les juristes du groupe " Coming Out " expliquent les raisons des poursuites pénales: " La sphère des services et de la vente de biens aux personnes LGBTQ+ n’a rien à voir avec l’extrémisme, si l’on se réfère à la formulation de la décision de justice. Pourtant, ce sont eux qui ont été frappés par la décision du tribunal. Sur les 12 procédures pénales engagées à ce jour au titre de l’article 282 paragraphe 2 du code pénal en rapport avec les activités extrémistes du «mouvement LGBT international», une seule est liée à l'"activisme LGBT».
La pression administrative a également augmenté. En 2024, 53 cas de poursuite de personnes physiques pour " propagande LGBT " (article 6.21 du code des infractions administratives), dont des amendes et des arrestations, et 48 cas de pression sur des personnes morales, notamment des inspections, des amendes et des fermetures d’établissement, ont été enregistrés. En outre, au moins 57 amendes ont été infligées pour l’affichage de symboles que les tribunaux ont interprété comme " extrémistes " en raison de leur lien avec le mouvement LGBTQ+. Les cas de harcèlement des parents d’adolescents LGBTQ+ ont particulièrement attiré l’attention: dans deux cas, des mères ont été accusées de " mauvaise exécution des devoirs parentaux " (article 5.35 du code des infractions administratives) en raison de publications sur les réseaux sociaux, et dans un cas, le père d’un adolescent transgenre a été privé de ses droits parentaux.
La situation est aggravée par de nouvelles initiatives législatives. Alors que la Douma d'État crée un groupe de travail chargé de censurer les contenus LGBTQ+ et de renforcer les normes sur les " valeurs traditionnelles «, les régions adoptent de nouvelles lois à leur niveau; par exemple, le Bashkortostan a interdit les références aux personnes LGBTQ+ dans les établissements d’enseignement et les institutions médicales. Ces initiatives renforcent la stigmatisation et l’isolement de la communauté LGBTQ+, préparant le terrain pour une pression encore plus forte sur ses représentants.
Comme le note le juriste du groupe «Coming Out», 2024 est devenue une année de suppression complète de toute manifestation de l’identité LGBTQ+: «La formulation de la législation anti-extrémiste est si vague qu’elle met en péril toute activité ou manifestation privée de la vie des personnes LGBTQ+.»
Déportations forcées après l’attaque terroriste du Crocus City Hall
Selon les représentants de l’organisation de défense des droits humains Pervyi Otdel (Premier Département), les autorités utilisent chaque attentat terroriste en Russie à des fins populistes, par exemple pour trouver un ennemi idéologique et le combattre. Les forces de l’ordre ont désigné des citoyens des pays de l’ex-URSS comme étant les auteurs du terrible attentat terroriste perpétré dans la salle de concert Crocus City Hall, près de Moscou, et qui a fait près de 150 victimes.
Comme le note «Pervyi Otdel» (Premier Département), les forces de l’ordre prêtaient déjà une attention particulière aux citoyens ukrainiens depuis 2022, mais depuis le printemps 2024, les autorités ont commencé à mener des raids de démonstration contre les travailleurs migrants d’autres pays, suivis d’expulsions massives de Russie.
Selon les médias, les forces de sécurité se sont rendues dans des lieux où l’on peut s’attendre à trouver des étrangers: foyers, mosquées, auberges de jeunesse, chantiers et marchés. Au cours de ces descentes, des personnes ont été détenues sans explication et battues, selon des militants des droits humains. Les raids visaient les citoyens des pays d’Asie centrale, ainsi que des réfugiés qui n’ont pas la possibilité de retourner dans leur pays d’origine, comme les citoyens afghans.
Dans certaines régions, comme à Saint-Pétersbourg, de telles descentes ont lieu presque chaque semaine, selon les rapports du service de presse du ministère de l’intérieur. Fin mars, la police de Saint-Pétersbourg a mené une véritable opération «Antimigrant», au cours de laquelle elle a préparé plus de 15 000 citoyens étrangers à l’expulsion. Ils ont été accusés de violation des règles d’entrée dans la Fédération de Russie ou du régime de séjour et d’activité professionnelle illégale sur le territoire de la Fédération de Russie, et les tribunaux ont imposé une amende de 5 000 roubles et l’expulsion volontaire ou forcée de la Russie.
Nombre de décisions du ministère de l’intérieur concernant les citoyens étrangers
Au cours de ces opérations, des citoyens étrangers ont été expulsés de Russie sans attendre l’entrée en vigueur de la décision administrative (qui intervient après 10 jours). Les étrangers peuvent en effet être expulsés du pays sans avoir le droit de faire appel de la décision, mais uniquement dans des circonstances urgentes.
Par ailleurs, le législateur russe a prévu de nouvelles restrictions pour les étrangers qui ont obtenu la citoyenneté russe, note Pervyi Otdel. Ainsi, le refus de prêter serment ou de s’inscrire au service militaire peut entraîner la révocation de la citoyenneté pour les Russes naturalisés. Auparavant, les migrants possédant la citoyenneté russe se voyaient remettre de force des convocations et étaient envoyés au front.
L’attention portée aux citoyens étrangers s’est également accrue de la part des agents des services spéciaux. «Pervyi Otdel» a indiqué qu’ils vérifiaient l'équipement des migrants à la frontière avec la Russie et qu’ils pirataient également leurs comptes.
La liberté de réunion
arrestations lors de rassemblements publics en 2024
Selon OVD-Info au 09.12.2024
Le début de l’année 2024 a été marqué par des manifestations au Bachkortostan. Comme nous ne connaissons pas le nombre exact de détenus dans cette région, ils ne sont pas inclus dans les chiffres mentionnés ci-dessus.
Parmi le total des détentions, 672 personnes ont été arrêtées pour leur participation aux rassemblements en mémoire à Alexeï Navalny.
Nombre de détentions liées à la participation à des actions en mémoire d’Alexei Navalny
Bachkortostan
Au début de l’année 2024, le tribunal de district de Baymak a condamné l’activiste bachkir Fail Alsynov à quatre ans de prison pour «incitation à la haine» (article 282 du code pénal), en raison de propos tenus lors d’un rassemblement. En soutien à Alsynov, trois grands rassemblements ont été organisés au cours du même mois: les 15 et 17 janvier à Baymak, et le 19 janvier à Oufa. Les autorités ont réagi rapidement au rassemblement du 17 janvier en ouvrant des affaires administratives impliquant plusieurs centaines de personnes, ainsi qu’une enquête pénale pour émeutes de masse. Cette enquête a été menée sur la base des parties 1 et 2 de l’article 212 du code pénal («Émeutes de masse») et de la partie 1 de l’article 318 du code pénal («Usage de la violence contre un représentant des autorités»). Au moins 76 accusés ont été placés en détention provisoire.
Délits attribués aux détenus:
- Désobéissance aux demandes légitimes d’un officier de police (partie 1 de l’article 19.3 du code des infractions administratives);
- Organisation d’un événement non coordonné (partie 2 de l’article 20.2 du code des infractions administratives);
- Participation à un événement non coordonné qui a perturbé le travail des infrastructures (partie 6.1 de l’article 20.2 du code des infractions administratives).
Tous ces articles prévoient des peines de détention administrative, ce qui permet aux forces de l’ordre de détenir une personne pendant 48 heures avant le procès. Pendant la période d’arrestation, une affaire pénale peut être ouverte — c’est ce qui est arrivé à au moins 20 accusés: 16 d’entre eux ont d’abord été détenus et arrêtés en vertu de l’article sur la désobéissance à un officier de police (partie 1 de l’article 19.3 du Code de procédure administrative), 4 autres personnes — d’abord en vertu de l’article 20.2 du Code de procédure administrative.
Sanctions imposées aux personnes impliquées dans des affaires administratives à la suite de manifestations au Bachkortostan
Les procès administratifs ont continué à être initiés et examinés jusqu’en juillet 2024. Au total, les tribunaux ont reçu au moins 556 affaires, vraisemblablement liées à des actions de soutien à Alsynov.
Nombre de procès administratifs engagés à la suite de manifestations au Bachkortostan
«L’affaire Baymak»
personnes au moins ont été inculpées dans «l’affaire Baymak»
Il a été rapporté à plusieurs reprises que les accusés avaient fait l’objet de violences pendant et après leur détention, ainsi que pendant l’enquête. Dim Davletkildin a été admis au centre de détention provisoire avec des hématomes, des contusions et des écorchures, comme l’a reconnu le Service fédéral de l’exécution des peines de Russie. L’homme a été hospitalisé dans un hôpital civil, où l’on a diagnostiqué une fracture de l’apophyse transverse de la colonne vertébrale. Rifat Dautov est décédé après avoir été détenu en tant que suspect. Ses proches n’ont pas été informés de la cause du décès et n’ont pas reçu de rapport.
Où sont les accusés dans «l’affaire Baymak»?
Comme le montre le graphique, au moins 4 accusés ont déjà été condamnés — ils purgent des peines d’emprisonnement de 4,5 à 5,5 ans dans une colonie.
Vous pouvez lire le reportage d’OVD-Info sur le déroulement de la manifestation à Baymak. Vous pouvez égalerment soutenir les accusés dans «l’affaire Baymak» en cliquant ici.
«Agents de l’étranger»
personnes, organisations et associations sont devenues des «agents de l’étrangers» en 2024
En 2024, les autorités ont engagé 1,5 fois plus de procédures administratives en vertu de l’article 19.34 du Code de procédure administrative sur le non-respect des obligations des «agent de l’étranger» qu’en 2023.
Types d’activités des «agents de l'étranger»
En 2024, le taux de remplissage du registre des «agents étrangers» a diminué par rapport à 2023 et 2022, mais a légèrement dépassé le niveau de 2021.
Le graphique ci-dessous présente les motifs de radiation de la liste des «agents étrangers». Mais même après qu’une personne ou une organisation a été retirée du registre, les données la concernant restent dans les listes publiques du Ministère de la justice.
Motifs de radiation des «agents étrangers» du registre du Ministère de la justice
Ni le ralentissement, ni la suppression d’individus et d’organisations du registre ne signifient que les autorités ont réduit leur pression sur les «agents de l'étranger». Au contraire, on peut affirmer qu’en 2024, cette pression a atteint un niveau encore plus préoccupant, car c’est à partir de cette année que des poursuites pénales actives ont été engagées contre les personnes inscrites au registre.
Nombre de procédures administratives engagées contre des «agents étrangers»
Depuis les modifications de 2022, une récidive dans une affaire administrative relevant de l’article 19.34 entraîne désormais une responsabilité pénale. Ces poursuites massives ont permis aux autorités de mener une campagne ciblée de poursuites pénales contre les «agents de l'étranger» .
Au 9 décembre 2024, au moins 32 personnes faisaient l’objet de poursuites en vertu de l’article 330.1 du Code pénal («Non-respect des obligations d’un agent étranger»), dont 29 ont été inculpées en 2024. Parmi les nouveaux accusés figurent la chanteuse Monetotchka (Elizaveta Gyrdymova), le rappeur Oxxxymiron (Miron Fyodorov), l’homme politique Lev Schlosberg (l’une des deux personnes poursuivies en vertu de cet article tout en restant en Russie) ainsi que la militante des droits humains et journaliste Natalia Baranova.
Nombre d’affaires pénales contre des «agents étrangers»
Une grande partie des «agents étrangers» réside hors de Russie. Cependant, les forces de l’ordre procèdent tout de même à des perquisitions au domicile de leurs proches. Par exemple, en Kabardino-Balkarie, les autorités se sont rendues à trois reprises en l’espace d’un mois et demi chez les parents de Martin Kochesoko, militant circassien exilé. À Magadan, les parents d’Alesya Marokhovskaya, rédactrice en chef de Vazhnye Istorii («Histoires importantes»), ont été perquisitionnés, tout comme les parents d’Yevgeny Karpov, ancien responsable du quartier général de Navalny à Voronej.
Organisations «indésirables»
En 2024, le taux de croissance du nombre d’organisations «indésirables» n’a fait qu’augmenter par rapport à l’année précédente. Au 9 décembre, un total de 195 organisations avaient reçu ce statut, dont 65 ont été incluses dans le registre en 2024.
Types d’activités des organisations «indésirables»
Au 9 décembre 2024, au moins 168 affaires administratives en vertu de l’article 20.33 du Code des infractions administratives («Participation aux activités d’une organisation indésirable») ont été portées devant les tribunaux de première instance en 2024.
Pour 56 de ces affaires, nous connaissons l’organisation au sein de laquelle la «participation» a été retenue pour la condamnation à une amende. C’est la participation aux activités du média en ligne «Meduza» qui a donné lieu au plus grand nombre d’amendes.
Organisations au sein de laquelle la «participation» a été retenue pour la condamnation à une amende
Une récidive pour des délits visés à l’article 20.33 ainsi que la fourniture ou la collecte de fonds, ou l’organisation des activités d’une organisation indésirable constituent déjà un motif de poursuites pénales en vertu de l’article 284.1 du Code pénal («Exercice des activités d’une organisation 'indésirable'»).
personnes au moins ont fait l’objet de poursuites en 2024 en vertu de l’article 284.1 du Code pénal
Quinze d’entre elles sont poursuivies pour participation à diverses organisations religieuses, telles que «AllatRa» ou celles liées au système chinois de pratiques spirituelles Falun Gong.
En outre, une affaire pénale pour organisation des activités d’une «organisation indésirable» a été ouverte cette année contre Kirill Martynov. Il est le rédacteur en chef du média «Novaya Gazeta Europe», l’un des fondateurs du projet éducatif «Université Libre», et fait partie de la direction du «Comité antiguerre» — toutes ces organisations ayant été déclarées «indésirables».
Par ailleurs, en 2024, au moins 8 condamnations ont été prononcées en vertu de l’article 284.1 du Code pénal. Au moins l’une d’entre elles prévoit une peine de prison — Oksana Shchetkina, une adepte du Falun Gong, a été condamnée à deux ans de colonie pénitentiaire.
Pressions politiquement motivées sur les représentants de groupes professionnels et sociaux
Pression sur les défenseurs des droits humains
En 2024, le système répressif continue d’exercer une pression ciblée sur la sphère de la défense des droits: les organisations défendant les droits politiques et sociaux, l’environnement et les droits des animaux. Telle est la conclusion des analystes d’OVD-Info dans leur étude sur la pression exercée sur les défenseurs des droits.
Les cas de répression les plus quantifiables concernent les organisations de défense des droits humains et les défenseurs individuels ayant reçu diverses désignations négatives: actuellement, cela comprend 84 organisations et associations et 107 personnes désignées comme «agents étrangers» ainsi que 110 organisations déclarées «indésirables». En outre, pour les avocats, l’inscription au registre des «agents étrangers» entraîne généralement la radiation du barreau. Un exemple notable est le cas de l’avocat Mikhaïl Beniach, qui est actuellement engagé dans un contentieux pour le moment infructueux contre la Chambre fédérale des avocats. De plus, au cours de l’année écoulée, 22 défenseurs des droits ont fait l’objet de poursuites pénales pour des motifs politiques.
Il est important de noter que la pression étatique ne se limite pas aux formes judiciaires. Une autre manifestation des répressions concerne les violations des droits professionnels des avocats ainsi que l’obstruction au travail des défenseurs des droits. Selon une enquête confidentielle, environ la moitié des avocats sont régulièrement confrontés à de telles violations, notamment:
- le refus d’accès aux clients dans les commissariats de police et autres institutions, particulièrement durant les actes d’enquête judiciaire et les détentions;
- les perquisitions sans mandat judiciaire et la fouille des avocats à l’entrée des tribunaux;
- la «double défense», où en plus de l’avocat choisi, un avocat commis d’office est imposé au défendeur, servant souvent les intérêts de l’accusation;
et d’autres formes de répression.
Les avocats, ainsi que les défenseurs sans statut d’avocat, ont mentionné des cas d’usage de la force physique ou de menaces à leur encontre, ainsi que la surveillance et le piratage de leurs appareils numériques par les services de sécurité. En outre, en 2024, les forces de l’ordre ont eu recours aux perquisitions, aux interrogatoires et à la saisie d'équipements — cette tendance s’intensifiant particulièrement après l'émigration de nombreux activistes politiques. Dans l’impossibilité de mener des actions d’enquête contre ces derniers, les agents peuvent diriger leurs efforts vers leurs avocats et défenseurs.
Concernant les formes quotidiennes de répression, de nombreux défenseurs des droits humains affirment que l’hostilité à leur égard s’est intensifiée récemment, tant de la part des forces de l’ordre que — en raison des efforts de propagande — dans la société en général. Si, avant la guerre, dans certaines régions, un défenseur des droits humains pouvait obtenir une sorte de «carte officielle» ou le numéro de téléphone d’un haut fonctionnaire pour ensuite utiliser ces ressources pour aider ses clients, désormais les portes leur sont presque toutes fermées. L'État met de plus en plus en place ses propres défenseurs des droits sous contrôle (par exemple, au sein des commissions publiques de surveillance du FSIN [Service fédéral d’exécution des peines]). Cependant, même lorsqu’ils parviennent à accéder à leurs clients, cela se termine rarement par une victoire. Par exemple, nos juristes ont indiqué qu’ils se sentent de plus en plus «indésirables» dans les tribunaux, dont on cherche à les faire partir au plus vite.
La répression vue par les avocats de la défense exerçant dans les tribunaux russes
OVD-Info s’est entretenu avec des avocats qui sont intervenus en défense dans des affaires politiquement motivées en 2024. Nous leur avons demandé d’expliquer comment les anciennes et nouvelles lois et pratiques répressives ont affecté leur travail.
Trois interlocuteurs ont immédiatement souligné qu’en 2024, les juristes, et particulièrement les avocats, ont rencontré encore plus de difficultés pour exercer leur liberté d’expression, non seulement au tribunal, mais aussi dans leur vie privée. Ils ont fait face à une surveillance accrue de la part de l'État et ont été contraints de " filtrer " aussi bien leurs plaidoiries que leurs déclarations personnelles sans rapport avec leur activité professionnelle. Un avocat a confié qu’en 2024 'il a commencé à craindre de présenter des preuves de sa propre initiative et qu’il analyse désormais méticuleusement si l’accusation pourrait y trouver des éléments de «discrédit», de «fake» sur l’armée, ou d’autres motifs pour de nouvelles poursuites. Selon lui, cette «autocensure» affecte la qualité de la défense. «Mais l’autocensure est nécessaire dans une telle situation, car si l’avocat se retrouve à la place de son client, personne n’en sortira gagnant. La situation ne fera qu’empirer, particulièrement pour le client», a-t-il déclaré.
Le 28 novembre 2024, en Oudmourtie, le tribunal a condamné l’avocat Dmitri Talantov à sept ans de privation de liberté. À ce moment-là, il était déjà détenu depuis près de deux ans et demi, accusé de diffusion de «fake news» sur l’armée et d’incitation à la haine pour avoir publié des messages anti-guerre. Ses collègues associent les poursuites contre Talantov à son travail dans l’affaire du journaliste Ivan Safronov, condamné à 22 ans pour haute trahison.
Le jour du verdict de Talantov, un tribunal de la région de Moscou a examiné le cas d’un autre avocat, Timour Idalov. Il a été condamné à un an et onze mois de travaux forcés. L’affaire a été ouverte suite à la phrase «Seriez-vous le commissaire Cattani? Il a pourtant été exécuté» prononcée à l’attention du procureur lors d’une audience. Les journalistes ont fait le lien entre l’affaire d’Idalov et le procès-verbal d’interrogatoire d’un ancien commandant du groupe Wagner qu’il avait rédigé.
En décembre 2024, les avocats d’Alexeï Navalny sont toujours en détention provisoire. Igor Sergounine, Vadim Kobzev et Alexeï Liptser sont accusés de participation à une organisation extrémiste: selon l’enquête, ils auraient assuré la transmission régulière d’informations entre Navalny et ses compagnons de lutte, l’aidant ainsi à continuer d’exercer sa fonction de dirigeant d’une organisation extrémiste. Le 17 décembre, le procureur a requis un peu plus de cinq ans de colonie pénitentiaire pour chacun des avocats.
Selon une source d’OVD-Info, la persécution des avocats et l’autocensure forcée de ceux qui restent en liberté ont contribué à la division de la communauté professionnelle. «Nombreux sont ceux, parmi nos collègues, qui craignent d’exprimer ouvertement leur opinion et leur soutien à ceux qui sont pris dans „les rouages du système“. Au lieu de cela, ils gardent le silence ou blâment les victimes elles-mêmes», a conclu la source d’OVD-Info.
Un autre défenseur a parlé de l’aggravation des conditions de travail dans les affaires liées au secret d'État et supervisées par le FSB. L’interlocuteur d’OVD-Info a souligné qu’il est en fait impossible de contester la reconnaissance de toute donnée constituant un secret d'État. Et leur admission peut entraîner un certain nombre de restrictions, même pour un avocat. «Trouver un avocat pour une affaire que mène le FSB est presque irréaliste. Ils menacent ouvertement les avocats de poursuites pénales, envahissent sans ménagement leur vie privée et „rendent secrètes“ toutes les dossiers», a résumé le défenseur.
Persécution des enseignants accusés d’avoir des positions anti-guerre
En 2024, les répressions contre les enseignants pour avoir exprimé des positions anti-guerre se sont poursuivies. OVD-Info a recueilli les principales données sur ce sujet, s’est entretenu avec des enseignants et a publié un rapport sur les persécutions après le début d’une guerre à grande échelle.
Les poursuites pénales sont la forme de pression la plus visible pour l’opinion publique sur les enseignants ayant une position anti-guerre. OVD-Info estime qu’au cours du premier semestre 2024, des enquêtes pénales ont été ouvertes contre au moins 4 enseignants. Cette année, la tendance à engager des poursuites longtemps après l’acte incriminé s’est poursuivie. Les victimes de la répression parmi les enseignants en 2023 et 2024 étaient principalement celles qui s’étaient prononcées contre la guerre au début de 2022.
Les enseignants sont souvent soumis à des pressions extrajudiciaires. Les initiateurs de cette pression sont des militants pro-guerre. Ils utilisent souvent des outils de cyberintimidation en publiant en ligne des informations sur des violations présumées de la loi par des enseignants anti-guerre, voire par des institutions entières, et appelant également à les dénoncer. En avril 2024, des tactiques similaires ont conduit à la fermeture du Novo Collège de Novossibirsk, dont le fondateur s’opposait ouvertement à l’invasion de l’Ukraine et a refusé d’inclure des séances de «Conversations sur des choses importantes» dans le programme.
Les persécutions contre Natalia Taranushenko, enseignante de la région de Moscou, est un exemple de symbiose de pressions systémiques et extra-systémiques. Au printemps 2022, Taranushenko a évoqué en classe les événements de Bucha. Un père d'élèves a commencé à écrire des dénonciations contre l’enseignante, exigeant qu’elle soit condamnée à une peine de deux ans. Plus de deux ans plus tard, en juin 2024, une enquête a été ouverte contre l’enseignante pour «fakes» (article 207.3, partie 2, alinéa d. du Code pénal). Taranushenko a alors quitté la Russie. En juillet 2024, l’enseignante est arrêtée en Arménie. Les responsables locaux de la sécurité ont invoqué l’inscription de Taranushenko sur la liste des personnes recherchées par le ministère russe de l’Intérieur. Ils ont déclaré qu’ils étaient contraints de coopérer avec la Russie sur ces questions. Elle a ensuite été libérée sous l’obligation de comparaître.
Un peu plus de la moitié des enseignants ayant subi des persécutions après février 2022 avec lesquels OVD-Info a pu s’entretenir ont noté que la situation évoluait rapidement et que désormais l’ouverture d’une procédure était parfois immédiate avec l’ouverture d’une procédure. D’autres ont indiqué que la pression augmentait progressivement et n’a pas immédiatement conduit à la nécessité de quitter la Russie en urgence. Comme Taranushenko, ils ont subi des pressions et ont continué à travailler en Russie. Ce n’est que quelque temps après l’acte incriminé qu’ils ont été confrontés à une réelle menace de perte de liberté ou ont compris qu’ils ne pouvaient plus exercer leur profession en Russie.
Pression sur les écoliers et les étudiants
Types de persécution des étudiants et des enseignants dans les universités russes en 2024
Selon Leonid Spirine, rédacteur en chef du média en ligne «Groza», en 2024, la principale tendance dans l'évolution des politiques à destination de la jeunesse est caractérisé par la volonté des autorités d’augmenter la natalité: «De nombreuses régions ont introduit diverses prestations pour la naissance d’enfants dans les universités russes. Des enquêtes sont menées sur la santé reproductive des étudiants et étudiantes. „C’est peut-être la chose la plus importante, la tendance la plus évidente qui s’est intensifiée au cours de l’année écoulée“.
étudiants ont été poursuivis dans des affaires criminelles «anti-guerre»
Données OVD-Info au 12.12.24
Parmi ces 44 étudiants, 4 ont déjà purgé leur peine. Des informations actualisées sur l’état d’avancement des dossiers et la localisation des accusés dans les affaires pénales «anti-guerre» peuvent être trouvées ici.
Conclusion
Les chiffres présentés dans ce rapport témoignent d’une baisse du nombre de poursuites pour certaines catégories de données.
Cela veut-il dire qu’il y a moins de répressions qu’auparavant? Sur la base des données disponibles, on ne peut tirer une telle conclusion, car le nombre de dossiers — tant administratifs que pénaux — dépend également de l’existence de publications, déclarations, protestations et autres activités pour lesquelles une personne peut être persécutée pour raisons politiques. Par exemple, en 2024, le nombre de cas de répression contre les enseignants qui, de l’avis de l’État, s’opposent à l’agression envers l’Ukraine a diminué. Ceci peut s’expliquer par la peur de s’exprimer publiquement, ainsi que par l’émigration forcée et le licenciement des enseignants les plus actifs au cours de la première année de la guerre. Une autre raison est l’autocensure. Certains des défenseurs interrogés par OVD-Info sont eux-mêmes confrontés à ce problème. Ils notent également que le manque de soutien de la part de la communauté professionnelle et le durcissement de la législation peuvent affecter la qualité de leur travail à long terme.
Selon nos observations, au cours de la troisième année de guerre et compte tenu de l’impact des répressions des années précédentes, les activités de protestation en ligne et hors ligne diminuent, voire deviennent complètement clandestines et se déroulent dans des formats fermés hors de l’espace public. Si des manifestations de masse et des piquets individuels sont organisés sans «dispersion» par les forces de l’ordre, ils portent exclusivement sur des sujets liés aux problèmes sociaux. Les plus grandes manifestations de masse en 2024, qui sont les plus grandes manifestations sur des revendications non liées à la guerre depuis 2021, ont eu lieu au Bashkortostan et se sont terminées par une vague d’affaires pénales. La diminution de l’activité a une incidence sur le nombre d’enquêtes pénales et administratives, mais ne signifie pas un affaiblissement de la réponse répressive.
Par ailleurs, on assiste à une réorientation de l’appareil répressif lui-même. Par exemple, les forces de sécurité ont commencé à mener plus activement des persécutions liées non pas à l’activité des personnes, mais à leur statut — à la fois inaliénable et assigné: par exemple, l’orientation de genre, la nationalité ou même l’étiquette d’ «agents étrangers».
L’année 2024 a en particulier été marquée par une augmentation du nombre de raids sur des événements civils au nom de de la lutte contre la communauté LGBTQ+, de fait reconnue comme extrémiste sur le territoire de la Russie. Après l’attaque terroriste du Crocus City Hall, les autorités ont également procédé à des expulsions massives de ressortissants étrangers.
Les poursuites à l’encontre des «agents étrangers» se sont également intensifiées, en particulier les poursuites pénales.
En outre, une part importante des persécutions pèse désormais sur les «prisonniers de guerre», c’est-à-dire des personnes accusées d’actions plus radicales que des déclarations ou des protestations directement ou indirectement liées à l’invasion de l’Ukraine. Nous ne savons pas toujours si les accusés ont commis les faits qui leur sont reprochés et quelle est leur position quant à la publication des informations les concernant. Par conséquent, ces cas ne sont pas inclus dans les statistiques générales des affaires pénales à motivation politique présentées dans le présent rapport, mais dans certains d’entre eux, on peut voir un motif politique, ou du moins une «politisation» de l’acte de la part de l’État. Nous parlons d’une situation où, par exemple, un incendie criminel raté qui n’a pas eu de conséquences graves est qualifié d’attaque terroriste, et l’accusé est considéré presque comme un espion du camp adverse. Il est particulièrement difficile de parler des affaires de trahison et d’espionnage, mais le fait même que le nombre de ces affaires ait considérablement augmenté depuis le début de l’invasion à grande échelle et que de nombreux accusés dans ces affaires aient été accusés d’avoir des liens avec l’Ukraine depuis 2022 suggère qu’ici aussi les autorités «politisent» leurs actions. Nous ne pouvons cependant pas affirmer ici qu’il y ait une motivation politique claire.
Compte tenu de ce qui précède, nous pouvons affirmer que les ressources des autorités chargées de l’application de la loi sont dirigées principalement vers ce type de poursuites, alors que dans d’autres catégories qui nous sont plus familières, nous pouvons constater une diminution du niveau des poursuites, sans doute en partie pour cette raison.
Quoi qu’il en soit, nous avons presque quotidiennement connaissance de nouveaux accusés dans des affaires pénales «anti-guerre». Au moment où nous rédigeons ce rapport, nous avons dénombré plus de 1 100 accusés.
Un jour, la guerre et la répression politique en Russie prendront fin. Nous pensons que le principal acteur de la future transformation de l'État sera la société civile. Prenez donc soin de vous et ne perdez pas espoir.